Six semaines en Allemagne | Réécriture |
Par : Non-Lus
Genre : Réaliste
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 10
Le schéma
Publié le 01/05/17 à 20:29:48 par Non-Lus
20h30. Les élèves se levèrent tous en même temps. J'observai chacun mettre leur veste à toute vitesse et se ruer vers les couloirs, avant de s'évaporer par la sortie de l'établissement. Résonnants sur les trottoirs de notre petite cité, les cliquetis de la pluie les attendaient ensuite là. Emboité dans la foule, je me laissai voguer vers un des bus nocturnes. Une fois installés, nous avions pour habitude d'être trop fatigués pour nous parler. Ainsi, nous nous contentions d'observer les rues qui défilaient, à travers les vitres du véhicule.
Après avoir hésité plus fois, ses portes automatiques se décidèrent à m'expulser, à la lumière d'un lampadaire. Quelques mètres plus tard, ma clé s'égarait dans une serrure et m'autorisait à m'aventurer dans cet appartement. J'y retrouvais l’aquarium sans poissons, le canapé de cuir et... Le silence. Julia, elle, n'était plus là.
En cause, nos récentes disputes. Son absence savait encore résonner contre les murs, les meubles, et ses bouteilles de vin totalement vides.
— Je... Je n'en peux plus Florian.
— Oh arrête un peu, comme si tu avais grand-chose à supporter !
— Pardon !!?
— Tous les matins, je me lève à 6h00 pour aller travailler, et je rentre bien trop tard pour avoir besoin de ça !
— Quoi "ça" !? MOI, tu veux dire !!?
Il y a encore quelques mois, nous possédions le même emploi du temps. Réglés comme une horloge, nous avions appris à vivre dans une certaine routine. Nous rentrions à la même heure. Nous avions les mêmes activités. Les vacances, les week-ends, les repas en famille, tout était planifié des semaines à l'avance. Il ne restait alors qu'à gravir les échelons dans nos entreprises respectives, faire des enfants, vieillir, et mourir.
Un paradis millimétré, que j'avais mis en péril ; focalisé désormais sur ces études chronophages. Nos accrochages débutèrent ici, et ne s'étaient jamais arrangés. Au contraire, certains mots, trop violents, avaient engendré l'érosion de notre relation.
Alors un jour, elle s'en alla. « Pour réfléchir », disait-elle. Mais les semaines s'enchaînant, ponctués, de temps à autre, par ses messages hésitants, me firent comprendre qu'elle ne reviendrait peut-être pas.
M'invitant dans la chambre à coucher, je laissai mon sac s'effondrer sur le sol. Ce dernier m'observa faire de même sur le lit. Exténué par ces séries de journées interminables, je fermai les yeux, puis m'endormis...
Samedi matin. Je me préparais à sortir. J'avais rendez-vous dans un bar, non loin de l'appartement. Là-bas, m'attendait Ludivine. Une amie. Enfin, une connaissance plutôt. Nous nous étions rencontrés par l'intermédiaire de Julia, il y a quatre ans. En me découvrant, elle avait prétendu m'avoir déjà croisé quelque part. Cela m'avait agacé : ici, tout le monde finissait par se connaître un jour ou l'autre.
Ludivine était le genre de fille qui savait tout, ou du moins, qui prétendait tout savoir. Un OVNI dans notre petite cité. Elle se permettait de faire la leçon auprès de ceux qui supportaient de l'écouter : choix adéquat du régime alimentaire, du bon candidat à une élection, causes bénévoles et autres valeurs sociétales.
Ces derniers temps, elle s'inquiétait de voir Julia si triste. Elle m’avait alors contacté quelques semaines plus tôt. Malgré la maladresse de sa démarche, j'avais accepté de venir à ce rendez-vous.
Arrivé sur les lieux, je m'assis à la table, en face d'elle. Nous commandions tous les deux un café. Ludivine avait choisi de garder son bonnet vert kaki à l'intérieur. Ce dernier, ne laissait dépasser que quelques-unes de ses bouclettes brunâtres. Au-dessous de son visage bronzé artificiellement, elle arborait un collier, où s’accrochaient de petits cubes blancs. Mon regard se perdait quelques secondes sur son pull très large, qui découvrait une épaule plus que l’autre. Le silence s’installant, elle décida de prendre la parole.
— On va couper l'addition en deux !
Je ne pouvais dissimuler ma surprise.
— Heu... Tu voudrais pas commencer la conversation autrement Ludivine ?
— Non non mais en fait, c'était juste pour prévenir, voilà !
— Ah.
Le serveur arriva et sorti de son plateau les deux cafés. Ludivine y mit deux sucres et de la crème. Puis, en aspira quelques gouttes, avant de reprendre.
— Récemment, j'ai décidé de couper le chauffage dans mon appartement.
— Pourquoi !?
— C'est évident non ?
— Heu...
— Raaah ! C'est parce que nous, les occidentaux, on vit trop dans le luxe tu vois, alors j'ai décidé de supprimer mon confort. Voilà !
Pour éviter de commenter, je bus une gorgée de café.
— Sinon… Comment ça va avec Julia ?
— Je crois que tu le sais déjà...
— Tu sais... Enfin, c'est pas mes affaires mais...
— Ce n'est pas tes affaires, oui.
Elle trempa ses lèvres dans le café, sans vraiment le boire.
— Pourquoi tu as commencé ces cours du soir, t'es complètement malade. Tu n'as même plus le temps de sortir !
Je finis le fond de café dans la tasse, en l'évitant du regard. Il semblait bien que Julia voulait régler ses comptes, à travers Ludivine.
— Tu sais, la vie, c'est pas ce que toi tu fais. Sérieusement.
Elle déposa les doigts sur la tasse, hésita un moment, puis reprit quelques gouttes de café.
— Je te l'avais déjà dit quand on s'était rencontré, t'avais quoi ? 21 ans ? C'était y'a longtemps. T'avais pas ton permis... ! J'avais halluciné.
— C'est quoi le rapport ?
— Mais t'as jamais rien voulu faire normalement de toute façon !
Elle me regarda. Attendit quelques secondes. Puis reprit.
— Il te suffirait d'arrêter ce que t'es en train de faire, et Julia reviendrait... Parce qu'elle t'aime tu sais.
C’était confirmé. Julia avait envoyé Ludivine à la rescousse : il fallait me résonner. Me faire comprendre à quel point il était dangereux de sortir de notre schéma. Celui, où nous avions été prisonniers. Et puisque c’était un délit gravissime, il fallait apporter de multiples justifications. J'avais une étrange impression de déjà-vu.
— Ludivine ?
— Oui ?
— J'ai cru que Julia m'accompagnerait dans les choix que j'ai fait. Elle ne l'a pas fait. Tu pourras lui dire que je ne vais pas arrêter mes études pour elle.
— T'es vraiment un égoïste.
Elle grimaça, puis appela le serveur. Le ton vindicatif, elle s’exclama :
— Tu n'essaies même pas de t’expliquer !?
Je ne savais pas quoi répondre, alors je ne dis rien.
Elle s'enfuit presque, en m'adressant un "au revoir" de politesse. Après quelques mètres, Julia allait probablement recevoir un appel, attestant de la validité de sa décision. Celle, de ne plus revenir.
Toutes ces années à constituer la vie que j'avais aujourd'hui n'avaient pas suffi à éponger ce sentiment. Celui, de n’avoir pas rattrapé le temps de l’adolescence.
En m'éloignant, une sensation amère s'empara de moi. Avais-je consacré trop de temps à essayer de recoller les morceaux ? Lorsque je rentrai à nouveau dans l'appartement, je constatai toute la solitude, dans laquelle les fragments de notre couple m’avaient plongé.
Il ne me restait plus que quelques semaines, pour rendre un travail de licence conséquent. Cela, en même temps que les cours et le travail. Et cette histoire avec Julia m'avait sensiblement ralenti, ce qui plombait de jour en jour mon moral. Il était donc nécessaire de passer à autre chose, au plus vite.
Ainsi, seules les touches d’un clavier d’ordinateur résonnèrent dans le salon. Affalé sur ce canapé de cuir, je profitais du silence, si particulier, propre à ces nuits solitaires. Autour de moi, se fondaient dans l’ombre les nombreux cartons de Julia. Je les regardais avec lassitude. Ils traînaient là depuis trop longtemps. Je laissais reposer ma tête en fermant calmement les yeux.
Bercé par un certain sentiment de nostalgie, je repensai à mes anciens souvenirs. À ce que je m’étais promis. À la fin de mon séjour en Allemagne.
Mes yeux se perdirent dans la pénombre de l'appartement.
Peut-être étais-je devenu victime, de mes propres rêves.
Après avoir hésité plus fois, ses portes automatiques se décidèrent à m'expulser, à la lumière d'un lampadaire. Quelques mètres plus tard, ma clé s'égarait dans une serrure et m'autorisait à m'aventurer dans cet appartement. J'y retrouvais l’aquarium sans poissons, le canapé de cuir et... Le silence. Julia, elle, n'était plus là.
En cause, nos récentes disputes. Son absence savait encore résonner contre les murs, les meubles, et ses bouteilles de vin totalement vides.
— Je... Je n'en peux plus Florian.
— Oh arrête un peu, comme si tu avais grand-chose à supporter !
— Pardon !!?
— Tous les matins, je me lève à 6h00 pour aller travailler, et je rentre bien trop tard pour avoir besoin de ça !
— Quoi "ça" !? MOI, tu veux dire !!?
Il y a encore quelques mois, nous possédions le même emploi du temps. Réglés comme une horloge, nous avions appris à vivre dans une certaine routine. Nous rentrions à la même heure. Nous avions les mêmes activités. Les vacances, les week-ends, les repas en famille, tout était planifié des semaines à l'avance. Il ne restait alors qu'à gravir les échelons dans nos entreprises respectives, faire des enfants, vieillir, et mourir.
Un paradis millimétré, que j'avais mis en péril ; focalisé désormais sur ces études chronophages. Nos accrochages débutèrent ici, et ne s'étaient jamais arrangés. Au contraire, certains mots, trop violents, avaient engendré l'érosion de notre relation.
Alors un jour, elle s'en alla. « Pour réfléchir », disait-elle. Mais les semaines s'enchaînant, ponctués, de temps à autre, par ses messages hésitants, me firent comprendre qu'elle ne reviendrait peut-être pas.
M'invitant dans la chambre à coucher, je laissai mon sac s'effondrer sur le sol. Ce dernier m'observa faire de même sur le lit. Exténué par ces séries de journées interminables, je fermai les yeux, puis m'endormis...
Samedi matin. Je me préparais à sortir. J'avais rendez-vous dans un bar, non loin de l'appartement. Là-bas, m'attendait Ludivine. Une amie. Enfin, une connaissance plutôt. Nous nous étions rencontrés par l'intermédiaire de Julia, il y a quatre ans. En me découvrant, elle avait prétendu m'avoir déjà croisé quelque part. Cela m'avait agacé : ici, tout le monde finissait par se connaître un jour ou l'autre.
Ludivine était le genre de fille qui savait tout, ou du moins, qui prétendait tout savoir. Un OVNI dans notre petite cité. Elle se permettait de faire la leçon auprès de ceux qui supportaient de l'écouter : choix adéquat du régime alimentaire, du bon candidat à une élection, causes bénévoles et autres valeurs sociétales.
Ces derniers temps, elle s'inquiétait de voir Julia si triste. Elle m’avait alors contacté quelques semaines plus tôt. Malgré la maladresse de sa démarche, j'avais accepté de venir à ce rendez-vous.
Arrivé sur les lieux, je m'assis à la table, en face d'elle. Nous commandions tous les deux un café. Ludivine avait choisi de garder son bonnet vert kaki à l'intérieur. Ce dernier, ne laissait dépasser que quelques-unes de ses bouclettes brunâtres. Au-dessous de son visage bronzé artificiellement, elle arborait un collier, où s’accrochaient de petits cubes blancs. Mon regard se perdait quelques secondes sur son pull très large, qui découvrait une épaule plus que l’autre. Le silence s’installant, elle décida de prendre la parole.
— On va couper l'addition en deux !
Je ne pouvais dissimuler ma surprise.
— Heu... Tu voudrais pas commencer la conversation autrement Ludivine ?
— Non non mais en fait, c'était juste pour prévenir, voilà !
— Ah.
Le serveur arriva et sorti de son plateau les deux cafés. Ludivine y mit deux sucres et de la crème. Puis, en aspira quelques gouttes, avant de reprendre.
— Récemment, j'ai décidé de couper le chauffage dans mon appartement.
— Pourquoi !?
— C'est évident non ?
— Heu...
— Raaah ! C'est parce que nous, les occidentaux, on vit trop dans le luxe tu vois, alors j'ai décidé de supprimer mon confort. Voilà !
Pour éviter de commenter, je bus une gorgée de café.
— Sinon… Comment ça va avec Julia ?
— Je crois que tu le sais déjà...
— Tu sais... Enfin, c'est pas mes affaires mais...
— Ce n'est pas tes affaires, oui.
Elle trempa ses lèvres dans le café, sans vraiment le boire.
— Pourquoi tu as commencé ces cours du soir, t'es complètement malade. Tu n'as même plus le temps de sortir !
Je finis le fond de café dans la tasse, en l'évitant du regard. Il semblait bien que Julia voulait régler ses comptes, à travers Ludivine.
— Tu sais, la vie, c'est pas ce que toi tu fais. Sérieusement.
Elle déposa les doigts sur la tasse, hésita un moment, puis reprit quelques gouttes de café.
— Je te l'avais déjà dit quand on s'était rencontré, t'avais quoi ? 21 ans ? C'était y'a longtemps. T'avais pas ton permis... ! J'avais halluciné.
— C'est quoi le rapport ?
— Mais t'as jamais rien voulu faire normalement de toute façon !
Elle me regarda. Attendit quelques secondes. Puis reprit.
— Il te suffirait d'arrêter ce que t'es en train de faire, et Julia reviendrait... Parce qu'elle t'aime tu sais.
C’était confirmé. Julia avait envoyé Ludivine à la rescousse : il fallait me résonner. Me faire comprendre à quel point il était dangereux de sortir de notre schéma. Celui, où nous avions été prisonniers. Et puisque c’était un délit gravissime, il fallait apporter de multiples justifications. J'avais une étrange impression de déjà-vu.
— Ludivine ?
— Oui ?
— J'ai cru que Julia m'accompagnerait dans les choix que j'ai fait. Elle ne l'a pas fait. Tu pourras lui dire que je ne vais pas arrêter mes études pour elle.
— T'es vraiment un égoïste.
Elle grimaça, puis appela le serveur. Le ton vindicatif, elle s’exclama :
— Tu n'essaies même pas de t’expliquer !?
Je ne savais pas quoi répondre, alors je ne dis rien.
Elle s'enfuit presque, en m'adressant un "au revoir" de politesse. Après quelques mètres, Julia allait probablement recevoir un appel, attestant de la validité de sa décision. Celle, de ne plus revenir.
Toutes ces années à constituer la vie que j'avais aujourd'hui n'avaient pas suffi à éponger ce sentiment. Celui, de n’avoir pas rattrapé le temps de l’adolescence.
En m'éloignant, une sensation amère s'empara de moi. Avais-je consacré trop de temps à essayer de recoller les morceaux ? Lorsque je rentrai à nouveau dans l'appartement, je constatai toute la solitude, dans laquelle les fragments de notre couple m’avaient plongé.
Il ne me restait plus que quelques semaines, pour rendre un travail de licence conséquent. Cela, en même temps que les cours et le travail. Et cette histoire avec Julia m'avait sensiblement ralenti, ce qui plombait de jour en jour mon moral. Il était donc nécessaire de passer à autre chose, au plus vite.
Ainsi, seules les touches d’un clavier d’ordinateur résonnèrent dans le salon. Affalé sur ce canapé de cuir, je profitais du silence, si particulier, propre à ces nuits solitaires. Autour de moi, se fondaient dans l’ombre les nombreux cartons de Julia. Je les regardais avec lassitude. Ils traînaient là depuis trop longtemps. Je laissais reposer ma tête en fermant calmement les yeux.
Bercé par un certain sentiment de nostalgie, je repensai à mes anciens souvenirs. À ce que je m’étais promis. À la fin de mon séjour en Allemagne.
Mes yeux se perdirent dans la pénombre de l'appartement.
Peut-être étais-je devenu victime, de mes propres rêves.
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